"Cette année marquée par le gel a imposé aux vignerons un choix entre qualité et quantité
Chaque millésime arrive avec son lot de bonnes et de mauvaises surprises. On se souvient de 2016, baladant les vignes d’un climat extrême à un autre, les sauvant in extremis d’une sécheresse estivale trop marquée par quelques pluies, puis finissant en beauté par un été indien assurant des vendanges sereines et des raisins à point. Un millésime qui s’était caractérisé par une maturité remarquable des tanins, un juteux exceptionnel, et un potentiel de garde au rendez-vous. 2016 s’était inscrit sans discussion parmi les très grands. Egalitaire, il avait apporté sa bienveillance tardive à tous les vignerons de Gironde qui avaient bénéficié d’un coup de pouce inespéré du ciel. "C’est bon partout" se réjouissaient alors les propriétaires.
Le millésime 2017 fait quant à lui dans la discrimination : les grands terroirs ont été très avantagés. L’hiver froid et sec n’a pas retardé le cycle du sol, la pousse est même arrivée avec un peu d’avance, fin mars début avril. C’est quelques semaines plus tard, que les choses dérapent. Deux épisodes de gel, les 20 et 27 avril, impactent tout le Bordelais à différents degrés. Au sein des appellations, les dégâts sont très hétérogènes selon l’altitude et l’exposition. "Certains microclimats n’ont pas été touchés par le gel" confirme le vigneron Jean-Luc Thunevin. Le ciel a visé au laser, n’affectant parfois qu’une face d’un cep. Les grands terroirs, rive gauche comme rive droite, ont été relativement épargnés, comme le formule l’œnologue Frédéric Massie "Le gel n’est pas socialiste. Cette année, tout va aux plus grands sols".
Sur la rive droite, le haut du plateau de Saint-Emilion ainsi que les coteaux sud ont été touchés de façon bien plus marginale que la plaine et les bas de côtes qui ont été ravagés. Sur la rive gauche, dans le Médoc, les communes bordant l’estuaire, elles aussi, n’étaient que peu dans la ligne de mire, tout comme Listrac, appellation qui a bénéficié d’un peu de hauteur. Au-delà des pertes conséquentes que ces deux épisodes de gel ont créé (un grand nombre de propriétés ne sortiront pas de vin cette année, ou du moins pas de premier vin), la morosité du paysage marqué par l’esthétique d’une vigne laissée comme une jungle a détérioré l’ambiance générale et le moral des vignerons. "L’impact est énorme sur la quantité mais peu sur la qualité. Le gel donne une mauvaise image au millésime alors que dans ce qui n’a pas gelé, c’est bon voire très bon" insiste Frédéric Massie.
En 2017, il fallait savoir faire le tri. Car, aux raisins de première génération désintégrés par le gel, a succédé un mois plus tard une nouvelle pousse, celle des raisins de seconde génération. "Il a été facile de trier les raisins grâce au décalage des véraisons" commente Frédéric Massie. Visuellement différenciables, certains ont écarté ces raisins de seconde pousse en amont. D’autres ont essayé de les amener à maturité pour bénéficier de rendements plus décents. Tout le problème est que les raisins provenant de vignes gelées sont de qualité inférieure, de maturité irrégulière, et même s’ils ont produit du sucre, les ajouter aux assemblages en les mélangeant aux premiers peut avoir des conséquences gustatives très aléatoires. "C’est pire qu’un conflit de générations" compare Jean-Luc Thunevin. Quand les propriétaires ont fait ce choix, les vins manquent d’harmonie, en bouche, les jus paraissent souvent dissociés – cette sensation que les composantes du vin ne s’intègrent pas ensemble - les finales sont sèches et parfois d’une amertume peu flatteuse. Cette année, il fallait accepter la fatalité indigeste de rendements faibles, parfois microscopiques, même si comme commente l’œnologue Antoine Médeville ; "Jeter, quand il y a si peu de raisin, c’est un peu dur".
2017 récompense les vignerons intransigeants. Quand un tri suffisant a été fait - impliquant un coût considérable de main-d’œuvre -, ne conservant que les premiers raisins ainsi que sur les beaux terroirs épargnés par le gel, la qualité est remarquable, caractérisée par une structure fuselée, de l’équilibre, et des parfums frais aux notes parfois florales très fines. Le mot d’ordre du millésime est avant tout l’hétérogénéité, donnant toutes les opportunités aux amateurs de partir à la chasse au trésor."